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samedi 27 septembre 2014

Saint Jude (ou Mes plus belles années ont fini dans le sang)

J'ai foutu pas mal de bordel dans cet établissement(1), qui de l'intérieur comme vu du ciel (j'ai eu l'occasion de le survoler durant un cours de pilotage de mon père) ressemble à une prison avec ses murs-bâtiments, ses trois cours intérieures qui communiques via des arches sous les bâtiments séparant ses différentes cours, et ses grilles monumentales (3m de haut pour l'entrée principale du lycée). J'y ai passé la majeur partie de ma scolarité (du CM1 à la 1ère) et de mon temps extra-scolaire (j'étais collé presque tout les mercredis et quelques samedis).

Cet établissement étant gigantesque, il y avait plusieurs CPE répartis en fonction des classes et lieux d'enseignement. En 4ème et 5ème j'ai eu un CPE formidable : Mr Steculorum. Cet homme avait (et a toujours je pense ^^) une autorité naturelle exceptionnelle (tant physique - un corps d’armoire à glace ça impressionne, surtout quand on est un gamin de 13 ans ^^ - que morale) car elle se basait sur le respect : le respect du règlement, des profs, des élèves en général, et de l'élève qui se trouvait dans son bureau.

Quand je suis arrivé en 3ème Mr Steculorum est devenu CPE des 3èmes (changement de la répartition des collégiens, quand j'étais en 6ème, nous étions dans une annexe avec les 3èmes).

En seconde j'ai eu Legrand : le parfait stéréotype du sergent instructeur à la "full metal jacket"
. Aucun respect des élèves et aucune autorité, juste la carotte et le bâton (et son bâton était bien plus gros que la carotte), une fois il a même shooté dans mon sac à dos (que j'avais sur les épaules) pour me montrer ce que ça fait de shooter dans le cartable (posé sur le sol) d'un camarade. Cette année je me suis éclaté : j'ai fait une campagne aux élections des délégués de ma classe en collant des affiches dans tous le lycée (slogans plus ou moins marxistes, images d'une feuille de cannabis et d'un jésus défoncé avec un joint à la main, et autres "rien à faire là"), j'avais un "baggi artisanal" (un jean trop large avec une ceinture plus ou moins utile) et avec un pote on allait voir des filles (en général), on desserraient notre ceinture, et pendant qu'on parlaient, on resserraient nos jambes, faisant ainsi tomber progressivement notre pantalon (j'ai bien évidemment était sermonné et ai annoncé le plus innocemment du monde "c'est paske j'ai pas de ceinture", bien sûr Legrand ne m'a pas cru et a même envoyé un courrier (que je n'ai découvert que récemment) à mon père lui disant que je m'étais "déjà fait remarqué lors de l'intervention de Monsieur ANDRIEUX en début d'année scolaire par une remarque déplacée" (ce directeur fraîchement débarqué - qui apportait un clivage entre les profs du fait de ce qu'il pensait des "jeunes en difficulté/à problème", qu'il fallait selon lui virer manu-militari...ce qu'il a d'ailleurs fait dans la plus grande discrétion - nous avait réuni afin de nous faire un grand discours de politicien sur les valeurs fondamentales de l'éducation...comme si nous étions des demeurés et que l'équipe enseignante et l'ancien directeur étaient des incapables et qu'il allait reprendre la barre du navire en détresse pour notre plus grand bien... Bref c'était tout bonnement du foutage de gueule qui avait pour seul but de nous montrer que maintenant c'était lui le patron. À la fin de son discours il a demander - pour la forme - si on avait des questions... j'ai levé la main, pris le micro, et demandé "si on pouvais souhaiter un bon anniversaire à Aurélie D. ?") et que j'étais sur la mauvaise pente et qu'il "espère que Benoit comprendra qu'un comportement plus mûr est vivement souhaitable". Enfin bref, mon année de seconde a été pour moi un jeu de "attrape moi si tu peux" avec ce CPE (j'ai gagné, n'ayant rien à perdre à rester au lycée car ma vie de famille n'étant pas franchement rose).

Quand je suis arrivé en 1ère, Mr Steculorum est devenu CPE du lycée (coïncidence ? Sachant qu'il était CPE au collège depuis plusieurs années...) et j'ai arrêté de jouer au con pour jouer au con, me contentant de "remettre à leur place d'humain ayant des responsabilités et obligations morale envers leur élèves" les profs faisant preuve d'abus d'autorité.

Cette année a aussi été l'arrivé de Tommasini, le chien-chien d'Andrieux qu'il avait fait venir de son ancien lycée pour lui servir de directeur adjoint. Tommasini a, à de nombreuses reprises, prit la place de Mr Steculorum pour me sanctionner et me "remettre à ma place". Peut-être que j'avais des exutoires, peut-être que j'avais plus de bon que de mauvais profs, ou peut-être que je m'étais calmé étant donné que mon climat familial n'était plus orageux tous les jours... Le fait est que c'était mon année la plus pauvre en heures de colle et devoirs supplémentaires. Mais un jour, j'ai été collé parce que je n'avais pas rendu un devoir d'anglais, je l'ai fait durant cette heure de colle et ai ajouté, au crayon de bois en haut de la copie, une note à l'attention de ma prof d'anglais que j'aimais beaucoup (et dont j'ai oublier le nom de famille :$), une note disais-je, qui en substance expliquait "je ne l'avait pas fait car le sujet ne m'inspirait pas, il ne m'inspire pas plus aujourd'hui, désolé. Amicalement Benoît" (bon d'accord, je n'avais pas envie de le faire, mais il est vrai que le sujet ne m'inspirait pas). Cet annotation anodine, dénotant une certaine affinité entre cette prof et moi, a servi de prétexte à un conseil de discipline, qui fut une parodie.

 
N'étaient pas présents : mon CPE (à la place il y avait la CPE collège, qui avait viré mon frère car il avait, pour déconner, dit dans un couloir : "demain c'est mon anniversaire, j'aurais un flingue et j'irais tuer foufoune [le surnom de la dite CPE]", qui m'avait eu en 6ème, et à qui je n'ai jamais reparlé après ; elle ne connaissait donc de moi que ce qu'elle en avait vu 5 ans auparavant), les délégués des parents d'élève (c'étaient leur suppléants), et Andrieux (le directeur s'était fait remplacé par son adjoint).

Étaient présents : la prof de maths(2) qui me haïssait (et je pouvait d'ailleurs la voir jubiler à la limite de la jouissance durant toute cette mascarade), mon prof principal (qui ne m'aimait pas particulièrement), ma prof d'anglais (et oui, ce conseil - même si il n'en a jamais été question durant l'exposé des faits - s'est servi du petit mot pour avoir une "légitimité". Pauvre prof d'anglais, je pouvais voir ta culpabilité et ta tristesse, et tu m'as dit, les larmes aux yeux, que tu étais désolé et que tu me souhaitais quand même le meilleur pour la suite), mes délégués de classe (un qui ne m'aimait pas particulièrement, et Éléonore : la timidité même, osant à peine lever les yeux de peur de s'attirer les foudres de ces adultes "ayant à cœur le bien-être des élèves". Éléonore qui faisait partie de mon cercle d'amis et savait donc que je n'étais pas l’infâme délinquant qu'ils décrivaient... en y repensant aujourd'hui je suis persuadé qu'un effroyable dilemme reposait sur ses épaules : me défendre au risque, au mieux, de perdre l'attention des profs dont elle avait si cruellement besoin, ou se taire), et ma mère, qui malgré de graves problèmes de santé, malgré le fait qu'elle vivait mal (quel doux euphémisme) d'avoir dû fuir le domicile conjugal en nous laissant seul avec notre père, malgré le trajet qu'elle avait dû faire pour venir, malgré le congé qu'elle avait dû poser, n'a même pas été entendu. Le pire de tout a été de voir, après avoir entendu le jugement "d'exclusion définitive de l'établissement avec préconisation d'un suivi psychologique et d'une inscription en internat pour permettre à Benoit de retrouver un cadre éducatif serein, stable et cohérent", que Monsieur Steculorum n'était pas "occupé ailleurs" (comme je me l'étais imaginé), mais qu'il était dans la rue à côté de son bureau en compagnie du surveillant principal (je n'ai pas eu la force d'aller le voir, et quand il a tourné la tête dans ma direction j'ai fait semblant de ne pas l'avoir vu) ; avec du recul je me dis qu'ils étaient là à attendre la fin de ce "conseil de discipline" et de sa "conclusion".

Pour ce qui est des chefs d'inculpation : 35h de colles en deux trimestres (j'atteignais allègrement ce chiffre en deux mois les années précédentes, j'en plaisantais même avec le directeur de l'internat quand il me voyait à la cantine le mercredi : "encore ?" - "eh oui, j'ai pris un abonnement"), un avertissement écrit (sans doute la lettre pour le pantalon, dont je ne connaissais même pas l'existence, et dont mon père n'avait peut-être même pas ouvert l'enveloppe), et un avertissement travail (que je n'avais jamais eu auparavant alors que je n'ai jamais fait d'effort particulier durant toute ma scolarité quelle que soit la matière) et discipline (que je n'avais jamais eu non plus malgré mes incessantes appréciation d'insolence, mes heures de colles à répétitions, et ce, même lors de mon passage en seconde où j'avais dû recopier la quasi totalité du dico et du Bescherelle et passer deux jours de vacances en travaux d’intérêt général au lycée). Ces avertissements uniques dans toute ma scolarité (à vérifier, mais je suis persuadé qu'un seul avertissement ne justifie pas un conseil de discipline) m'a été adressé lors du conseil de classe du second trimestre, et je n'ai reçu mon bulletin de note qu'après le conseil de discipline. "En effet, son attitude de provocation répétée gêne les professeurs et les élèves de la classe"... D'accord, quand je me lançais dans mes diatribes virulentes je gênais toute la classe, mais je n'ai jamais empêché un prof de faire son cours (voulant moi même le suivre), et à quelques très rares exception durant toute ma scolarité, un élève m'a sermonné parce que je le gênais (je n'ai pourtant jamais été une terreur, j'avais même plutôt tendance à être une victime dans mon enfance, donc si je les "gênais" tant que ça ils me l'auraient dit). "De nombreuses rencontres ont eu lieu pour permettre à Benoit de prendre conscience et de rectifier son comportement mais les engagements pris par Benoit n'ont jamais été suivis de changements durables"... Déjà, je n'ai pris aucun engagements, j'ai juste accepter les conséquences de mes actes, et en plus, dans les pièces du dossier il y a mon relevé de note du-dit second trimestre où on peut lire dans la case appréciation de la prof d'allemand : "A amélioré enfin son comportement. Résultats corrects, mais irréguliers." (ce n'est pas moi qui ai souligné "enfin", mais la prof). Les délibérations se sont déroulées à huis clos : mes camarades délégués, ma mère et moi-même avons été prié, pour les uns de retourner en classe, pour les autres d'attendre le verdict dans une autre pièce. Il n'est fait mention nulle part de ces délibérations, à part "Après avoir entendu toutes les personnes présentes", notez bien le entendu et pas écouté (j'avais vraiment l'impression de parler à un mur les rares fois où on m'a autorisé à parler, et ma mère s'était pire : ils ne l'empêchaient pas de parler, mais j'avais l'impression de les voir bailler), ajoutez à cela que tout le monde n'a pas parlé, que le temps de parole n'était pas du tout équitable, et vous avez une parodie de jugement en régime dictatorial (je ne me mets pas au même niveau qu'un pauvre diable qui a eu le malheur d'être entendu en train de dire qu'il n'était pas content du général président et qui va être exécuté en place publique, je constate juste qu'il y a des similitudes dans ce simulacre de justice).

Après mon exclusion, un ami m'a appelé, m'a présenté ses condoléances (j'abuse mais bon ^^) et m'a dit : "on a pensé à faire des affiches pour qu'ils te réintègrent". J'ai donc fait les dites affiches (en prenant bien soin de me prendre en photo en mode "innocent emprisonné à tord") et les lui ai transmises. Ces affiches ont circulé dans tout le lycée et même en dehors (une amie en avait collé sur les vitres arrières de sa voiture). Le lycée a même envoyé une lettre (que je n'ai vu que bien plus tard) m'intiment l'ordre d'arrêter cette campagne. J'ai demandé à être inscrit à Paul-Hazard, le lycée publique d'enseignement général d'Armentières (situé juste à côté de Saint Jude), mais celui-ci a répondu : "J'ai le regret de vous faire savoir que je ne souhaite pas accorder cette admission, me conformant en cela à la recommandation du conseil de discipline d'éloigner significativement votre fils de son ancien établissement". Comme je n'avais rien à faire de mes journées et que la quasi totalité de mes amis étaient à Saint Jude, j'allais les attendre à la sortie et j'ai reçu une lettre (que j'ai lu bien plus tard) m'ordonnant de ne plus m'approcher de l'établissement.
 
J'ai aimé et détesté Saint Jude (comme n'importe quel élève dans n'importe quel établissement scolaire), j'y ai eu des bons et des mauvais profs, j'y ai eu des joies et des peines, j'y ai eu des amis et des "ennemis", j'y ai même connu mes premières amours et leur déboires, j'y ai appris beaucoup de choses (scolaires ou non), et je considère que ces années ont été les meilleures de ma vie, mais la fin a été brutale. Moi qui ne pleure que très rarement (ayant dû créer des forteresses émotionnelles), j'ai pleuré comme une madeleine quand je suis rentré chez moi à la fin du conseil de discipline.


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(1) Saint Jude à Armentières, 59280. Une prof m'a dit que j'y étais considéré comme "le loup blanc"
- pour avoir un aperçu du bahut (ils ont récupéré pas mal de thunes depuis mon départ, à mon époque, ça faisait encore plus prison sordide ^^), voici leur vidéo officiel de présentation :
L'Institution Saint Jude - Armentières (Nord) (sur youtube)
(notes que les commentaires ont été désactivés ;) )

(2) Je pense qu'elle me haïssait car je ne rentrait pas dans les cases : j'étais à la fois un pitre et un bon élève.
cf. L’Éducation Nationale (ou la dictature d'un mode de pensée unique), paragraphe 8.


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